L'Ogre des forêts
Il était une fois...
Une bête géante mécanique progressait méthodiquement à travers les pins de la forêt, de ma forêt ; s'arrêtant ici et là, elle fondait sur ses victimes marquées chacune du sceau sacrificiel, s'en emparant de sa monstrueuse poigne articulée, la cisaillant à sa base pour la dépecer rondement ensuite :
cette bête, c'est l'Ogre des forêts...Telle est l'histoire vraie de cet engin des bois, impressionnant, majestueux à certains abords, fort inquiétant à d'autres...
Cet ogre des temps modernes, cette machine imaginée et créée par l'homme pour les bienfaits du Dieu Productivité, elle existe bel et bien, je l'ai même rencontrée, pas plus tard qu'hier, alors qu'en forêt, tranquille, je me baladais...
Oh je me doutais bien de son existence, et sans doute en ai-rencontré là qu'un modeste specimen ; n'empêche, j'en avais jamais vu de près et le voir ainsi en pleine activité m'a quelque peu ébranlé !
Maintenant que sont posés les jalons de mon aventure, je m'en vais vous la narrer davantage et en images...
Lorsque je suis passé une première fois aux lointains abords du théâtre de ses "exploits", ses sourds grognements ne m'ont point échappé, de même qu'il m'a cru entendre le cri sourd si caractéristique des arbres qu'on abat.
C'est au retour que, la bête s'étant rapprochée, je l'aperçus entre les pins, objet de sa furie destructrice.
Forcément interpellé, je stoppai net ma progression et me mis à fixer la bête qui du coup, se mit à me jauger pour m'intimider...
Des frissons me coururent sur tout le corps ; le froid sans doute me dis-je, car n'écoutant
que mon courage, je fis face à cet ogre et m'avançant vers lui, il me montra alors, menaçant, son horrible poigne de fer...
Mais force me fut de réaliser bien vite que ma présence l'indifférait totalement car lui, il continuait obstinément son travail avec toujours une même voracité, finissant de digérer les restes de l'un avant de passer à l'autre;
au passage, on remarquera l'extraordinaire complexité de sa poigne de fer qu'il sait manoeuvrer avec une incroyable facilité apparente...
Une proie engloutie, vite passer à une autre, tel semble être son leitmotiv ; après un bref coup d'oeil, il jette son dévolu sur celle-ci, tout à gauche (pour l'autre, son tour viendra juste après), marquée au fer rouge, il se dirige vers elle...
Il commence par enrouler sa poigne autour du tronc de sa victime et à sa base, il l'étouffe, il la tranche, il la fait vaciller et tomber à l'endroit qu'il a lui-même décidé ; c'en est fini de cet arbre, sa vie s'arrête là, l'ogre va le dévorer...
Enfin, pas complètement quand même, il faut bien préserver sa substantifique moelle qui servira à faire du papier (il en faut bien pour remplir nos sacs bleus du tri sélectif...), ou du bois de construction, du bois de chauffe, ou... des allumettes.
L'opération a duré à peine une minute,
et à peine repu, l'ogre se prépare déjà à une nouvelle proie, la seule résistance qu'il rencontre me semble-t-il tient au feuillage, plus ou moins fourni;
là je ris de le voir peiner à digérer ces branchages qui, manifestement, l'énervent au plus haut point car ils nuisent à son efficacité
A ce moment précis, l'ogre s'est aperçu que je me moquais de lui, il m'adresse alors... une poigne d'honneur
Bon, vous l'aurez compris, au travers de ce conte, aussi véridique qu'ironique, je me suis plutôt bien défoulé et bien amusé dans cette - longue - inspiration débridée...
J'ose croire que la gestion de nos forêts est réalisée de manière intelligente, que lorsqu'on coupe, c'est pour faciliter la croissance de ceux qui restent, ou pour en replanter d'autres, ou encore expérimenter des espèces différentes, etc...
N'empêche, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'au nom d'impératifs de rentabilité à tout crin, on accélère grandement les processus car dans l'air du temps, on n'a
plus le temps d'attendre, il faut transformer vite et bien ces arbres en monnaie sonnante et trébuchante, au grand dam souvent des agents de l'ONF, respectueux voire
amoureux de leurs forêts, à qui on demande, à ce que j'ai cru comprendre, une gestion de plus en plus axée "objectifs-rentabilité" que "qualité"... et c'est bien dommage, mais ainsi va la
vie.
Cela étant, on est loin heureusement des folies perpétuées ailleurs, en Asie, en Indonésie, etc... et avant d'en finir avec ce long article, je ne peux manquer
d'avoir une pensée pour la forêt amazonienne que l'on massacre allègrement au nom du Dieu Fric, une forêt sacrifiée sur l'autel de la productivité, cette forêt où sévissent des
engins probablement des dizaines de fois plus puissants que celui que j'ai découvert dans cette belle forêt d'Halatte, cet après-midi du 16 février 2011.
PS : l 'Ogre des forêts a un nom ; ll s'appelle John Deere, nom de code H414...
Qu'on se rassure, hors cette rencontre inédite qui m'a marqué, j'ai fait hier d'autres rencontres, agréable comme ces premières jonquilles ou d'autres que j'aurai peut-être l'occasion de vous montrer plus tard.
Et pour qui ne serait pas rebuté ou fatigué à la suite de ce (trop?) long article, à vrai dire inhabituel ici, il y a encore à faire avec cette Balade en forêt amazonienne